Désinfection et réutilisation des masques : quels repères en situation de pénurie ?

18 juin 2025

Masques et pénurie : que se passe-t-il vraiment en établissement médical et médico-social ?

Les crises sanitaires récentes, comme la pandémie de Covid-19, ont mis en lumière la vulnérabilité de notre approvisionnement en équipements de protection individuelle. Les masques, essentiels à la sécurité des soignants et des résidents, sont vite devenus une ressource rare. Les professionnels de santé en EHPAD, comme en hôpital, se sont retrouvés parfois contraints de porter des masques au-delà de la durée recommandée, faute de solutions alternatives. La question s’est alors posée avec acuité : en cas de pénurie, vaut-il mieux désinfecter les masques pour les réutiliser ? Peut-on adapter nos pratiques sans compromettre la sécurité ?

Masques chirurgicaux et FFP2 : bien comprendre les différences

Tous les masques ne se valent pas. Le masque chirurgical vise principalement à protéger l’entourage du porteur contre ses propres projections (gouttelettes, salive). Son tissu non-tissé, jetable, n’est pas conçu pour un usage prolongé ou une décontamination répétés. Le masque FFP2 (ou équivalent KN95), lui, protège aussi le porteur contre les agents infectieux présents dans l’air ambiant. Il est plébiscité lorsqu’on soigne des personnes atteintes d’infections transmissibles par voie aérienne et/ou lors d’actes à risque (aérosols, aspiration, pose de sonde, etc.).

  • Le masque chirurgical est normalement à usage unique, porté 4 heures maximum s’il reste sec et propre (source : Haute Autorité de Santé et Ministère de la Santé).
  • Le masque FFP2 est à usage unique également, habituellement 8 heures maximum si les conditions sont réunies (source : INRS - Institut National de Recherche et de Sécurité, Fiche Fichetech.fr).

En pratique, cette règle n’a pas toujours pu être respectée, obligeant les professionnels à improviser.

Peut-on désinfecter un masque et le réutiliser ? Ce que disent les autorités

Aucun fabricant n’a homologué la désinfection des masques chirurgicaux ni FFP2 pour une réutilisation répétée en contexte de soin. Pourtant, en temps de pénurie, diverses options ont été envisagées, avec prudence.

Les recommandations officielles : une très grande prudence

  • Masques chirurgicaux : Leur structure est sensible à l’humidité et aux produits de désinfection. Ils perdent rapidement leur pouvoir filtrant et leur capacité d’adhérence après tout traitement. Les autorités (HAS, INRS, OMS) déconseillent formellement toute tentative de désinfection ou de réutilisation.
  • Masques FFP2 : En théorie, ces masques pourraient être décontaminés par certains procédés, mais uniquement dans des contextes contrôlés, pour un très faible nombre de cycles, et surtout, cela ne concerne qu’une sélection limitée de modèles. Les agents de santé n’ont pas accès en routine à ces équipements industriels. L’OMS, le CDC (USA) et l’ANSM (France) ont émis des consignes exceptionnelles lors de crises aiguës, en insistant bien sur l’urgence de ces mesures et les marges de risque qu’elles comportent.

Il existe des protocoles expérimentaux hors du champ du soin, mais aucun ne garantit une efficacité ou une sécurité suffisante pour un usage au quotidien, notamment en EHPAD ou structure médico-sociale.

Quels risques liés à la désinfection et à la réutilisation des masques ?

  • Perte d’efficacité : Les masques reposent autant sur leur tissage que sur leur électrostatique : toute désinfection par eau, alcool, vapeur ou chaleur peut dégrader ces propriétés.
  • Transformation chimique : Certains désinfectants laissent des résidus, potentiellement irritants ou toxiques pour le porteur ou la personne soignée.
  • Difficulté de contrôle : Sans matériel spécialisé, il est impossible de vérifier qu’un masque conserve une filtration correcte ou qu’il n’a pas été contaminé à l’intérieur ou lors de la manipulation.
  • Effet pervers sur les comportements : Un masque à l’aspect visuellement propre peut masquer une perte d’efficacité invisible mais dangereuse.

Selon une étude de 2020 par l’Université Stanford, la filtration d’un masque FFP2 peut chuter de 95 % à moins de 60 % après deux cycles de désinfection à l’alcool ou à la javel (source : Stanford Medicine, « Masks and Decontamination », 2020).

Que faire en période de pénurie ? Alternatives et stratégies

Lorsque la pénurie s’impose, la priorité est la sécurité des professionnels et des résidents. Plutôt que d’opter pour la désinfection à domicile ou sur le terrain (avec tous les risques précités), d’autres démarches peuvent être mises en œuvre.

Prolonger l’usage du masque avec précautions

  • Garder le même masque plus longtemps (sans l’enlever, tant qu’il reste sec, propre et bien positionné) peut exposer à moins de risques que le retirer puis le réutiliser, car cela limite la manipulation et la contamination.
  • En cas d’interruption, poser le masque sur une surface propre, aérée, individuelle (ex : papier absorbant jetable, boîte dédiée), mais ne pas le stocker dans une poche ou autour du cou.

La HAS, pendant le pic de la crise Covid, recommandait d’étendre l’usage des masques à 6 heures en cas de nécessité, tout en renforçant l’hygiène des mains et la vigilance à toute perte d’intégrité ou de propreté.

Masques alternatifs et « faits maison » : limites et indications

  • Les masques « grand public » en tissu n’ont pas la même efficacité et ne protègent ni le porteur ni l’entourage en contexte de soin (voir l’avis de l’ANSM, mai 2020).
  • En cas de véritable extrême urgence, ils restent un pis-aller, à associer strictement au respect des gestes barrières, et ne doivent pas être utilisés pour des actes invasifs ou sur des personnes vulnérables.

Organisation du stock et anticipation

  • Optimiser l’utilisation des masques en priorisant les situations réellement à risque et en organisant la distribution selon les besoins réels (par exemple, privilégier les soins à risque ou les soignants en contact rapproché).
  • Mettre en place une traçabilité des stocks et renforcer les commandes préventives en lien avec les pharmacies d’établissement ou les ARS (Agences Régionales de Santé).

Zoom sur la décontamination industrielle : quelques chiffres et constats

Certaines structures hospitalières en France ou à l’étranger ont pu recourir à la décontamination industrielle des masques FFP2, par des procédés complexes :

  • Vapeur d’hydrogène peroxyde : Selon l’ANSM, ce procédé industriel peut permettre 1 à 2 cycles de décontamination maximum, avec une perte progressive d’efficacité après chaque traitement (source : ANSM, « Décontamination des masques FFP2 : synthèse », 2020).
  • Chaleur sèche surveillée : Certaines études (CNRS, Étude 2020) évoquent une conservation partielle du pouvoir filtrant pour des cycles courts à 70°C pendant 30 minutes, toujours sous surveillance technique stricte.
  • Rayonnement UV-C : Ses effets restent limités en surface, parfois insuffisants pour tout le volume du masque, et le nombre de passages doit être limité à moins de cinq cycles.

En EHPAD ou petite structure, ces procédés sont rarement accessibles et présentent des risques non maîtrisés.

Impact sur l’organisation et l’accompagnement des équipes

Ces questionnements ont aussi des conséquences humaines. Adopter ou non des pratiques dégradées (réutilisation, désinfection artisanale) pèse sur la charge mentale et la sécurité ressentie au sein des équipes. Le dialogue, la formation à la gestion de crise, et la clarté dans les indicateurs d’alerte demeurent essentiels.

  • Sensibiliser aux limites de chaque geste accessible au quotidien, pour éviter le faux sentiment de sécurité.
  • Valoriser le retour d’expérience de terrain pour améliorer à la fois l’organisation et l’anticipation de ces crises.

Pour aller plus loin et s’adapter en sécurité

Les périodes de pénurie nous rappellent la nécessité d’une prévention sans compromis mais aussi l’importance de l’innovation, en restant ancrés sur l’évaluation des risques. Mieux vaut parfois s’atteler à l’optimisation de l’usage, à la rationalisation, ou à la mutualisation des stocks, plutôt que de s’aventurer vers des pratiques incertaines comme la désinfection artisanale de masques jetables.

Les recommandations évoluent en fonction des connaissances scientifiques et des expériences collectives. Se tenir informé auprès des autorités sanitaires (HAS, INRS, OMS, ANSM) et participer aux réseaux d’échange entre professionnels fait partie intégrante d’une démarche de sécurité au quotidien. En situation difficile, une question cruciale demeure : comment protéger au mieux sans perdre de vue l’éthique du soin et la sécurité de tous, soignants compris ?

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