Maintenir le lien : communication et port du masque auprès des résidents

12 juin 2025

Introduction : une barrière, mais pas un mur

Depuis l’apparition de la pandémie de Covid-19, la question du port du masque en établissement médico-social s’est imposée comme un enjeu quotidien. Face à la nécessité de protéger les résidents, parfois très vulnérables, le port du masque semble aller de soi. Mais son impact sur la relation humaine – et plus précisément, sur la communication – soulève régulièrement des interrogations, voire des inquiétudes. Une partie de la communication passe par la parole, une autre par toute une gamme de signaux non verbaux : sourire, articulation, expression du visage, émotions. Le masque, perçu comme protecteur, ne risque-t-il pas de devenir un frein à l’échange authentique avec les résidents ? Ce dossier propose d’examiner cette problématique à travers des données, des retours d’expérience et des recommandations concrètes.

Pourquoi le masque perturbe-t-il la communication ? 

Le masque chirurgical, et plus encore le masque de type FFP2 qui recouvre la quasi-totalité de la partie inférieure du visage, modifie de façon significative la dynamique de l’interaction humaine. Plusieurs mécanismes sont en jeu :

  • Atténuation de la voix : De nombreux soignants remarquent que leur voix, derrière un masque, porte moins loin et perd en clarté. Selon une étude de l’INSERM publiée en 2021, la parole est atténuée de 3 à 4 décibels avec un masque chirurgical, et jusqu’à 12 décibels avec un masque FFP2. Cela peut réduire l’intelligibilité, en particulier pour des résidents présentant une surdité légère ou des troubles auditifs fréquents avec l’âge.
  • Effacement des expressions faciales : Le bas du visage joue un rôle central dans l’expression des émotions. D’après la revue « Frontiers in Psychology » (2020), près de 55 % des indices d’identification émotionnelle passent par la région bouche-nez.
  • Gêne de la lecture labiale : Beaucoup de personnes âgées s’aident inconsciemment (ou consciemment, en cas de presbyacousie) de la lecture sur les lèvres pour comprendre la conversation. Le masque rend cette compensation impossible.
  • Distance sociale accrue : Le port du masque s’accompagne souvent d’une tendance à la distanciation physique, réduisant d’autant l’impression de proximité et de chaleur humaine.

Communication orale et troubles spécifiques liés à l’âge

La perte d’audition touche environ 65 % des plus de 75 ans (source : Haute Autorité de Santé). Dans ce contexte, chaque facteur gênant la captation des sons ou la lecture labiale représente une véritable entrave à la communication. Mais l’enjeu dépasse la seule intelligibilité : clarté du langage, nuances dans la tonalité, émotion transmises par la voix, tout est susceptible d’être filtré ou déformé par le port du masque.

Chez les résidents atteints de maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés, ces difficultés se doublent d’une vulnérabilité accrue face au changement des habitudes. La disparition du visage familier, la difficulté à reconnaître son interlocuteur, voire l’impression d’être "dérouté" par l’absence de sourire visible, peuvent renforcer le sentiment d’isolement ou d’anxiété.

L’impact émotionnel et psychologique pour les résidents

La communication ne se limite pas à la transmission d’informations. Elle revêt une dimension affective : rassurer, exprimer de la bienveillance, partager un moment de complicité ou signaler une inquiétude. Plusieurs études menées en EHPAD (notamment par le CHU de Toulouse en 2022) montrent que les résidents décrivent le port du masque comme :

  • Un frein à la compréhension émotionnelle de leurs interlocuteurs
  • Un facteur de distance et de froideur, même lorsque les soignants redoublent d’efforts pour compenser
  • Un élément renforçant le sentiment de solitude, particulièrement chez ceux peu entourés
  • Un obstacle à la reconnaissance des professionnels (surtout lorsque le turn-over est important)

Une enquête menée par la Fondation Médéric Alzheimer, au plus fort de la crise sanitaire, indiquait que plus d’un résident sur deux confessait une gêne ou un malaise face à l’impossibilité de voir le sourire des soignants ou de leurs proches lors des visites.

Le point de vue des soignants : adaptation et créativité

La majorité des professionnels interrogés reconnaissent la gêne provoquée par les masques, mais témoignent aussi d’une réelle capacité d’adaptation. Plusieurs stratégies émergent spontanément :

  • Mimer ou accentuer le langage corporel : Orienter davantage le regard, utiliser les mains, exagérer la posture ou la gestuelle pour compenser la perte d'expression faciale.
  • Soigner l’intonation : Sur-articuler, marquer les inflexions de voix pour mieux transmettre émotions et directives.
  • Recourir à l’écriture ou aux supports visuels : Les ardoises blanches, pictogrammes, ou tablettes numériques sont de plus en plus valorisés auprès des résidents les plus à risque.
  • Adapter le rythme des échanges : Prendre le temps, reformuler, inviter le résident à exprimer s’il a compris ou non. Cette souplesse dans l’échange devient primordiale.

D’après une enquête de la Fédération Hospitalière de France (2021), près de 70 % des personnels soignants jugent que le port du masque les a initialement déstabilisés, mais près de 90 % disent avoir mis en place au moins une "astuce" pour préserver la qualité du lien.

Innovations et pistes pour limiter les difficultés

Face à la gêne décrite, diverses solutions émergent :

  • Les masques transparents agréés : Longtemps réservés aux professionnels travaillant auprès du public sourd ou malentendant, ils connaissent aujourd’hui un essor en établissements médico-sociaux. Leur efficacité en matière de filtration est à valider : le Haut Conseil de la santé publique rappelle que seuls les masques disposant d’une homologation normée (AFNOR) offrent une protection suffisante – à surveiller avant usage systématique.
  • L’accompagnement des résidents : Prendre le temps d’expliquer l’utilité du masque, rassurer sur la présence du soignant « derrière », instaurer des rituels de reconnaissance (badge avec photo, présentation à voix haute…), autant d’astuces qui peuvent s’inscrire dans les routines du quotidien.
  • L’aménagement des locaux : Réduire les bruits de fond, améliorer la lumière, faciliter la visibilité entre soignants et résidents. Ces gains « environnementaux » compensent en partie les limites imposées par le masque.
  • Les temps sans masque : Dans certains cas, lorsque le contexte infectieux le permet et dans le respect des consignes sanitaires, organiser des moments (en extérieur, à distance, ou en situation sécurisée) où l’on ôte le masque peut s’avérer bénéfique pour le moral et la cohésion.

Certaines équipes témoignent qu’un simple « coucou » de la main, un contact sur l’épaule ou la prise de la main (lorsque cela reste possible) permet de transmettre aussi de la chaleur, même masqués. Le toucher, le ton de voix, le regard sont autant de relais de l’expression non verbale à exploiter.

Limites et arbitrages en pratique

Si les solutions existent, elles ne gomment pas toutes les difficultés. En période d’épidémie, la priorité reste la protection sanitaire. Lors des pics de circulation virale, l’abandon du masque n’est pas envisageable. Il importe alors de jouer sur « tout ce qui reste » : la préparation en amont, l’écoute active, la valorisation des échanges non verbaux.

Il convient aussi de ne pas surestimer les capacités compensatoires de certains résidents. Chez ceux souffrant de troubles cognitifs profonds, d’agitation ou de troubles neurovisuels, la situation reste complexe. Adapter son mode de communication, solliciter l’appui des proches et des équipes pluridisciplinaires est alors essentiel.

Vers une communication augmentée en contexte de crise sanitaire

Au fil des mois, l’expérience covid aura révélé la résilience des résidents comme des professionnels. Le masque agit comme une barrière, mais cette barrière n’est pas infranchissable. Loin d’installer un silence ou un froid irréductible, le défi du port du masque aboutit souvent à une communication « augmentée » : plus attentive, tournée vers l’écoute active, l’adaptation des canaux et l’invention de nouveaux rituels. La sophistication de la relation tient alors moins à la facilité du langage qu’à la qualité de présence, l’attention portée à l’autre, la solidarité du quotidien.

Alors, le port du masque empêche-t-il la bonne communication avec les résidents ? Il la complique, sans aucun doute, en particulier chez les personnes fragiles sur le plan sensoriel ou cognitif. Mais il invite à réinventer les codes, à revaloriser des moyens d’expression négligés, à placer la qualité de l’attention au cœur des gestes professionnels. Le masque impose une vigilance et une créativité accrues, sans jamais annuler la nécessité du lien humain.

Pour aller plus loin sur le sujet, on recommandera les publications de la Haute Autorité de Santé (HAS), les directives du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ainsi que les études récentes de la Fondation Médéric Alzheimer.

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