Le port des gants en EHPAD : un réflexe systématique ?

28 juin 2025

Pourquoi le port des gants s’est généralisé ?

Le port de gants jetables, qu’ils soient en vinyle ou en nitrile, s’est progressivement imposé comme un élément central des précautions standard en milieu de soins. Selon les chiffres de Santé publique France, on estime qu’environ 2 millions de paires de gants sont utilisées chaque jour en établissements de santé à l’échelle nationale (Santé publique France). Cette généralisation s’explique par plusieurs raisons concrètes :

  • La prévention de la transmission croisée : Les gants font barrage entre les mains du soignant et un germe potentiel.
  • La multiplication des recommandations : De nombreux protocoles institutionnels insistent sur les « précautions standard ».
  • Le ressenti d’une sécurité accrue : Porter des gants rassure souvent, tant sur le plan personnel que vis-à-vis des résidents et de leurs proches.

Toutefois, cette habitude ne doit pas masquer des règles très précises : les gants ne sont ni un bouclier universel, ni un substitut au lavage des mains ; ils ont une utilité, mais aussi des limites.

Quand les gants sont-ils indispensables en EHPAD ?

Les recommandations récentes de la Société Française d’Hygiène Hospitalière (SF2H) et du Ministère de la Santé (SF2H, Ministère de la Santé) sont claires : le port des gants en EHPAD n’est obligatoire que dans certaines situations précises. Voici les grandes indications :

  • Contact avec du sang ou des liquides biologiques : Prélèvements, soins de plaies, toilette intime (selles, urines, vomissements, etc.).
  • Risques de coupure ou de piqûre : Manipulation de dispositifs tranchants (aiguilles, bistouri, etc.).
  • Peau ou muqueuses lésées : Soin de plaies, escarres, décubitus, muqueuses altérées.

Dans ces cas, le gant protège autant le soignant que le résident. Pourtant, il demeure inutile – voire contre-productif – lors de nombreuses interventions quotidiennes.

Faut-il porter des gants pour la toilette ou lors de l’aide au repas ?

Prenons deux activités fréquentes en EHPAD : la toilette et l’aide au repas.

  • Toilette courante (hors zones intimes) : La SF2H ne recommande pas le port systématique de gants lors du lavage du visage ou des bras, s’il n’y a pas de contact avec des liquides biologiques.
  • Aide au repas : En l’absence de lésion cutanée, de gestes invasifs ou de contact avec de la salive sanglante, il n’y a pas de justification au port du gant.

Porter des gants dans ces situations peut même véhiculer une image de distance ou d’aseptisation mal vécue par les personnes âgées. En revanche, lors de la toilette intime ou du change, les gants demeurent obligatoires.

Risques liés au port excessif des gants

Porter des gants trop souvent ne protège pas forcément mieux, bien au contraire. Les études indiquent plusieurs effets contraires à l’hygiène attendue (CDC).

  • Fausse sécurité : Certains soignants zappent alors l’étape essentielle de l’hygiène des mains, pensant être « couverts » par le gant.
  • Ponts microbiens : Les gants contaminés peuvent, s’ils ne sont pas changés entre deux tâches – ou deux patients – devenir un vecteur de transmission des microbes.
  • Irritations cutanées : Les soignants présentent deux fois plus de cas d’eczéma de contact (source : Revue Pratique en Dermatologie, 2022), surtout en cas d’usage prolongé ou de gants poudrés.

Une enquête menée en 2021 dans plusieurs EHPAD d’Ile-de-France montrait que seuls 47 % des soignants réalisaient une friction hydro-alcoolique après avoir retiré leurs gants. Un chiffre interpellant, qui souligne le risque d’habitudes mal adaptées (Société Nationale de Gériatrie).

Bonnes pratiques : choisir ses gants, optimiser leur usage

L’usage raisonné du gant implique quelques règles simples, à intégrer au quotidien.

  1. Respecter l’indication : Ne pas porter de gants « au cas où », mais lorsqu’il existe un risque identifié.
  2. Changer de gants entre chaque résident ou soin d’une autre zone corporelle : Cela évite le transport des germes sur soi ou sur d’autres surfaces.
  3. Retirer les gants dès la fin de la tâche à risque : Ne pas toucher son téléphone, sa poche ou la poignée de porte, mais jeter immédiatement les gants dans la poubelle adaptée.
  4. Se frictionner les mains après usage : On n’oublie jamais l’hygiène des mains, qui reste le geste le plus efficace de la prévention du risque infectieux.
  5. Privilégier le bon type de gants : Les gants en nitrile sont à préférer au latex pour limiter les allergies.

Adapter ses pratiques à chaque situation : exemples concrets

Chaque type de soin appelle une réflexion : quels sont les risques ? Le gant est-il utile ou superflu ? Un tableau peut guider les prises de décision.

Soin effectué Port de gants recommandé ? Justification
Lavage des mains du résident Non Pas de contact biologique, faible risque infectieux
Toilette intime Oui Contact avec urine/selles, protection des deux parties
Distribution de médicaments oraux Non Aucun contact corporel direct, lavage des mains suffit
Soin de plaie ou escarre Oui Contact avec plaie ouverte, exposition au sang
Aide à la marche, habillage Non Pas de contact biologique

Ce type de référence doit être affiché dans les espaces de soins : il réduit à la fois la surconsommation de matériel et le risque d’erreurs.

Limiter l’usage, c’est aussi préserver l’environnement

Un autre argument, rarement cité mais de plus en plus sensible : la gestion des déchets. En France, le secteur de la santé est responsable de près de 700 000 tonnes de déchets par an, dont une part significative de gants à usage unique (source : Ministère de la Transition écologique). Une approche écoresponsable encourage donc à réserver les gants aux situations où ils sont vraiment incontournables. Diminuer la consommation inutile, c’est alléger le circuit des déchets sans compromettre la sécurité.

Ce que disent les résidents eux-mêmes

Le point de vue des résidents mérite d’être entendu. Dans une enquête menée en 2022 par la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privée (FEHAP) (FEHAP), 37 % déclaraient que le port systématique des gants leur donnait le sentiment d’être « malades en permanence ». Certains rapportent malaise, froideur ou gêne, en particulier lors des premiers gestes du matin.

Ce ressenti s’ajoute donc au raisonnement technique, et incite à choisir le gant non comme une carapace, mais comme un outil ponctuel au service d’une relation préservée.

Ouverture : Vers une culture du soin adaptée et responsable

Le port des gants en EHPAD doit être réfléchi et ciblé. Ni systématique, ni négligé, il s’intègre dans une stratégie plus globale où chaque geste compte : lavage des mains, formation régulière des équipes, adaptation aux situations particulières. Savoir quand mettre des gants, c’est protéger sans surprotéger ; c’est respecter la personne soignée, son intimité, comme l’environnement où elle vit.

Renforcer la formation, afficher clairement les bonnes indications dans chaque unité, et écouter les retours des équipes et des résidents : voilà la voie la plus sûre pour garder le gant à sa juste place, au bénéfice de tous.

En savoir plus à ce sujet :