Gants jetables : tout savoir sur les dangers de l’excès en établissement

1 juillet 2025

Quand la protection se retourne : pourquoi parler de “trop” de gants ?

En milieu médico-social et hospitalier, le port de gants s’impose comme un réflexe sécuritaire, largement adopté au fil des années, renforcé par les crises sanitaires comme le COVID-19. Pourtant, derrière ce geste apparemment anodin se cachent des risques insidieux. Un usage excessif des gants, loin de protéger mieux, expose les soignants et les personnes accompagnées à de nouveaux dangers, parfois méconnus et en augmentation.

Le phénomène est massif : en France, la consommation de gants médicaux aurait explosé de 30 à 40 % entre 2019 et 2022, selon l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament). Si la vigilance contre les infections reste une priorité, il est donc devenu urgent de comprendre les dérives possibles d’une utilisation non raisonnée dans les établissements.

Le gant, un outil à double tranchant

L’objectif du port de gants est d’assurer, ponctuellement, la sécurité des soignants et des patients lors de procédures exposant à des liquides biologiques, des produits toxiques ou un risque infectieux avéré. Pourtant, selon la Société Française d’Hygiène Hospitalière (SFHH), dans 70 % des situations de port de gants, il n’y a pas de justification clinique. Pourquoi ces dérives ?

  • Perception d’une “protection universelle” conduisant au port systématique
  • Manque de formation ou messages contradictoires sur les bonnes pratiques
  • Pression psychologique (peur du risque, attentes des familles, etc.)
  • Absence de contrôle ou de procédure de ré-ajustement au sein des équipes

L’enjeu n’est donc pas d’abandonner l’usage des gants, mais de le réserver aux actes réellement à risque, et d’en maîtriser le cadre.

Les risques infectieux : un faux sentiment de sécurité

Contrairement aux idées reçues, le port de gants abusif augmente le risque infectieux plutôt qu’il ne le diminue, pour plusieurs raisons :

La contamination croisée, problème majeur

Des études internationales (Journal of Hospital Infection, 2020) ont montré qu’en cas de port prolongé et non remplacé des gants, la contamination de surfaces et la transmission croisée entre patients s’élèvent en moyenne 2 à 3 fois plus qu’avec une hygiène rigoureuse des mains sans gant. Le gant, contaminé dès qu’il touche une surface souillée, devient un vecteur mobile qui piège les microbes, les bactéries multirésistantes et les virus.

  • La fausse “protection” conduit parfois à négliger la désinfection des mains : une étude anglaise (BMJ, 2019) a observé que le port de gants diminue de 36 % la fréquence de friction hydro-alcoolique systématique.
  • Des germes comme le Staphylococcus aureus résistant (SARM) ou les entérobactéries sont fréquemment retrouvés sur des gants en EHPAD ou à l’hôpital après des soins courants : le taux peut atteindre 30 à 50 % (Étude SFHH, 2021).

Le mauvais changement de gants

Le respect du changement de gants entre deux soins n’est pas toujours effectif. Plusieurs enquêtes de terrain ont documenté que, par habitude, on enchaîne plusieurs actes chez la même personne ou entre plusieurs personnes, propageant ainsi les micro-organismes.

Risques dermatologiques et intolérances cutanées

La peau des mains supporte mal le port excessif et prolongé des gants, surtout dans des environnements où le lavage et la désinfection sont déjà fréquents. Les réactions peuvent être multiples :

  • Dermatites d’irritation : sensations de brûlure, fissures, rougeurs (jusqu’à 34 % des soignants d’EHPAD selon Santé Publique France, 2022).
  • Allergies de contact : démangeaisons, plaques, eczéma, principalement dues aux gants en latex ou à la poudre parfois ajoutée (le latex est responsable de 6 à 17 % d’allergies chez le personnel de santé sur de longues expositions).
  • Macération : transpiration excessive sous le gant favorisant les champignons et infections de la peau.

À la longue, ces altérations épidermiques fragilisent la barrière cutanée, elle-même premier rempart contre les infections, et exposent à de nouveaux risques.

Diminution du “toucher” et impact sur la qualité du soin

Le port régulier ou systématique de gants a un impact direct sur la relation soignant-soigné et la qualité technique du geste :

  • Perte de sensibilité : le gant diminue la finesse du toucher, rendant plus difficile la détection de fragilités cutanées ou de réactions douloureuses chez la personne âgée ou vulnérable.
  • Risque de traumatisme : manipuler un pansement, poser un cathéter ou effectuer une toilette avec des gants trop épais conduit parfois à des gestes plus brusques ou imprécis.

Certaines études en gérontologie (Revue de Gériatrie, 2018) indiquent que la déshumanisation du soin, ressentie par les résidents, est accentuée par ce “mur” artificiel du gant, notamment lors des gestes d’accompagnement quotidien (aide à l’habillement, transfert, soins de confort).

Risques écologiques et gaspillage de ressources

Les gants médicaux sont massivement composés de plastique (latex, nitrile, vinyle) — et la filière est confrontée à de vrais défis :

  • Impact écologique majeur : selon le Ministère de la Transition Écologique, 63 000 tonnes de déchets de gants jetables ont été produites en 2021 en France, soit une multiplication par trois en cinq ans. Or moins de 15 % sont recyclables ou effectivement valorisés.
  • Déchets contaminés : il s’agit de déchets à risque infectieux (DASRI) nécessitant des traitements spécifiques, coûteux et énergivores.
  • Pénurie et tensions d’approvisionnement : l’usage non raisonné peut provoquer des ruptures logistiques, privant les services qui en ont réellement besoin (cf. crise COVID-19, source ANSM).

Limiter la surconsommation permet de préserver les ressources, de limiter l’empreinte écologique et de sécuriser les approvisionnements.

Quels repères pour un usage adapté en établissement ?

Des recommandations claires existent (SFHH, OMS, HAS) :

  1. Le port de gants n’est justifié que pour les actes exposant à un risque de contact avec du sang, des liquides biologiques ou des produits chimiques irritants.
  2. Les gestes simples sur peau saine (aide à l’habillage, prise de tension, toilettes sans contact avec muqueuse ni liquide) ne nécessitent pas de gants.
  3. Changer de gants entre chaque acte et chaque patient. Il faut éviter de toucher les surfaces ou d’utiliser du matériel propre avec des gants souillés.
  4. L’hygiène des mains (par friction hydro-alcoolique ou par lavage) reste l’axe prioritaire, avant et après le port de gants.

Rialet et al. (Revue Hygiène, 2020) rappelaient que “le gant n’est pas une seconde peau” : il doit être choisi pour sa fonction, ôté dès la fin de l’acte, et jamais privilégié au détriment d’une hygiène manuelle scrupuleuse.

Renforcer la culture de la prudence sans tomber dans l’excès

Prévenir l’usage abusif des gants passe par :

  • La formation continue des équipes : rappels réguliers sur les indications et les alternatives (hygiène des mains, vêtements de protection adaptés).
  • Des mises en situation concrètes pour réajuster les pratiques, observer les automatismes et y apporter des corrections.
  • La sensibilisation des résidents et familles afin d’expliquer les choix faits dans l’intérêt commun : “moins de gants” n’est pas “moins de soin”.
  • L’utilisation d’affiches repères dans les services, détaillant les gestes avec ou sans gant (exemple de l’outil “Quand porter des gants” de la SF2H).

S’orienter vers un usage raisonné, protecteur pour tous

Le risque en matière de prévention infectieuse ne se situe pas dans l’abandon des gants, mais dans leur banalisation inconsciente. Opérer un “retour à l’essentiel” sur l’indication des gants, c’est renforcer la sécurité (microbes moins disséminés), préserver la relation au patient, protéger la santé des soignants, et diminuer l’impact écologique du soin.

Changer ses habitudes demande du temps et du dialogue, mais les bénéfices sont multiples. En s’appuyant sur la science, l’expérience et l’observation, chaque équipe peut bâtir une culture de la prudence vraiment efficace, au bénéfice de tous.

Sources :

  • ANSM, « Dispositifs médicaux et usage en établissements », 2022
  • SF2H (Société Française d’Hygiène Hospitalière), « Quand porter des gants ? », 2020
  • Santé publique France, « Risques professionnels en EHPAD », 2022
  • Ministère de la Transition Écologique, « Déchets médicaux : chiffres clés », 2021
  • BMJ (British Medical Journal), « Impact du port de gants sur l’hygiène des mains », 2019
  • Journal of Hospital Infection, « Transmission croisée liée aux gants », 2020

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